APPROCHE INTERCULTURELLE,
UN BRIN DE PSYCHO-SOCIOLOGIE
En toute modestie...
...car vivre toute une vie ne suffirait pas à percer toute la complexité et les
mystères de la culture japonaise. Il faut naître Japonais car on ne devient pas
Japonais.
Alors que peut-on comprendre de ce pays à partir d'un voyage éclair de deux
semaines ?
QUELQUES NOTIONS
Le Japon présente cette particularité à mes
yeux de sembler si proche et familier par certains aspects et si lointain et
étrange par d'autres. Cela tient pour beaucoup à son histoire si particulière
liée à son insularité. Ce pays a vécu de longues périodes d'isolement
involontaire ou voulu alternant avec des périodes d'ouverture. L'Asie continentale a
"découvert" le Japon au VIe siècle et le Japon a emprunté au monde Chinois par
la suite, parfois via la Corée, jusqu'au milieu du IXe siècle où le Japon rompit ses relations
diplomatiques avec la Chine. Inspiré par son modèle, le grand Empire de Chine,
le Japon s'est voulu aussi Empire. L'un s'est déclaré descendant du Ciel,
l'autre du Soleil (Amaterasu). Puis, repliés sur eux-mêmes, les Japonais développèrent
notamment de nouvelles pratiques linguistiques. Les Japonais ont vécu longtemps dans un
système féodal, jusqu'à une fermeture au XVIIe siècle face aux Occidentaux
(Portugais, Néerlandais, Anglais) perçus comme une menace. C'est par la force
qu'il se rouvrira deux siècles plus tard, au milieu du XIXe siècle, face à la
flotte américaine du commodore Perry.
Aucune culture n'existe ex nihilo, à partir de rien. C'est patent en
ce qui concerne le Japon où il est constamment fait référence à des
éléments culturels issus de la Chine impériale. Mais n'est-il pas vrai que
toute culture résulte d'influences, d'emprunts?
Prenons le cas des pays l'Europe occidentale de culture gréco-latine et du Japon.
Sans aucun complexe
d'infériorité, l'Europe hérite d'une culture (langues, droit, religion, arts)
qui lui a été largement imposée par l'Empire Romain car le temps, il
y a près de deux
millénaires, a mis une distance à cette dépendance, tout en permettant une
assimilation assez rapide, à quoi il faut ajouter la redécouverte des sources
gréco-latines à la Renaissance.
Il en est de même pour le Japon mais en inversant les facteurs. De la fin
du Ve au milieu du IXe siècle, le Japon fut très influencé par la culture
chinoise dont il chercha à s’imprégner systématiquement. Il faut dire que la Chine était
alors dotée d'une puissance politique et d'une avance technique supérieure à
celles de tous les autres pays voisins. C’est notamment à cette époque (vers
le VIe siècle) que les Japonais se sont approprié les idéogrammes japonais,
la marque la plus visible de ces emprunts.
Si
la civilisation chinoise multiséculaire dont le Japon est redevable, perdure toujours, il y a un
millénaire que le Japon en a assimilé certains traits (religion et philosophie,
écriture, culture du thé, sériciculture, arts et techniques) mais dans une
démarche qui, elle, était volontaire.
En 604 (ou 692), les Japonais avaient même abandonné leur ancien
calendrier lunaire Hi-oki pour le calendrier luni-solaire chinois
Tianbao (créé en 443) introduit par moine coréen Kanroku. A partir de
1684, ils ont compilé leurs propres calendriers (4 versions: Jokyo, Horyaku,
Kansei et Tenpo) jusqu'à l'adoption du calendrier grégorien peu
après Meiji, en 1872.
Les Chinois aiment
bien faire sentir que le Japon est quelque part redevable de beaucoup à la
Chine alors qu'au début de l'ère chrétienne il sortait tout juste du
paléolithique.
Une histoire ou une légende illustrent ce dernier aspect des choses.
Plusieurs
souverains de l'antiquité chinoise ont tenté d'obtenir une "panacée de jeunesse
et de longue vie", sous forme d’élixir ou de pilule. Pendant la dynastie Qin,
il y a environ 2200 an; le célèbre Empereur Qin Shi Huang (auquel on doit la
fabuleuse Armée Enterrée de Terre Cuite de Xi'an) parcourut les côtes de Chine
orientale afin de trouver ces remèdes et il envoya vers l'Orient et ses
mythiques "îles des immortels" une vaste expédition menée par Xu Fu accompagné
de 3000 (1000 selon d'autre sources) filles et garçons vierges, de gardes et de
vivres, à la recherche de l'élixir de vie éternelle. Mais l'envoyé ne revint
jamais ni aucun membre de l'expédition. Disparurent-ils en Mer Jaune, au-delà
de la péninsule du Shandong ou, comme on le raconte, parvinrent-ils à Shingu au
Japon mais n'y ayant pas trouvé l'élixir, y restèrent et y firent souche? Au
lieu de rentrer en Chine, Xu Fu aurait passé le restant de sa vie à Kumano,
transmettant culture et technologie chinoises, notamment dans les domaines des
travaux publics et de l'agriculture.
A défaut d'avoir trouvé le fameux élixir, les recherches de la médecine
chinoise et du taoïsme de cette époque croyaient qu'ingérer des matériaux
précieux connus pour ne pas s'abîmer, comme l'or, le jade, le cinabre (sulfure
de mercure) ou l'hématite pouvaient conférer la longévité. L'Empereur Qin Shi
Huang Di mourut d'une intoxication au cinabre en 210 av. J.-C.
Aucune de ces civilisations,
aussi bien occidentale que japonaise n'a donc eu à
affronter le dramatique complexe de devoir "tuer le père" pour exister par
elles-mêmes. A moins de considérer l'état de belligérance du Japon pendant la
première moitié du XXe siècle comme une sorte de revanche contre la Chine et
l'Amérique...
LE RESSENTI
En vous livrant quelques impressions au terme
de ce voyage, je n'ai pas l'intention de déflorer le récit qui suit mais au
contraire de vous inciter à approfondir la découverte de ce pays et de ses
habitants. En vrac, je vais essayer de dire ce que j'en retiens.
Dans un pays où la nature peut se montrer violente, on se sent en sécurité
au milieu des gens. On ne sent pas d'agressivité dans les espaces publics.
Les jeunes écoliers peuvent se rendre à l'école à pied sans être accompagnés.
Les mal voyants ont des cheminements podotactile (sensibles par les pieds) partout dans les villes, les
personnes à mobilité réduite et les personnes conduisant des poussettes ne
buttent pas contre des trottoirs (les angles de trottoirs sont pratiquement
effacés) et n'ont pas de seuil ou de marche à franchir pour monter dans un
train ou un métro. Une mégalopole comme celle de Tokyo n'est pas asphyxiée par
la pollution et la circulation y est relativement plus fluide que dans d'autres
grandes cités de part le monde. On ne se sent jamais perdu car les Japonais ont
une sorte de sens de la responsabilité qui fait qu'ils sont plus attentifs
que bien d'autres s'ils vous sentent en difficulté. Je suppose que ce
dernier trait résulte d'une profonde imprégnation confucéenne tendant à
rechercher l'harmonie... et cela s'accommode bien des fortes densités
urbaines du Japon moderne. Une exception notable et bien visible,
l'urbanisme, un domaine dans lequel semble régner l'anarchie et où chacun
peu donner libre-cours à sa fantaisie.
Bien sûr, je ne suis ni naïf ni ignorant de la face cachée de cette culture.
Cette pression et ce contrôle social qui limitent l'expression de la liberté
et de la personnalité de chacun ("il faut enfoncer le clou qui dépasse")
génèrent des dérives et des effets pervers: persécutions et suicides dans les
écoles, jeunes hikikomori qui restent cloîtrés chez eux, harcèlement
moral dans les entreprises, lorsqu'elle existe, vie de famille en peau de chagrin (longues
journées, peu de congés)... Quant à la criminalité, elle existe aussi mais sous
le forme souterraine du grand banditisme mafieux (avec les yakusa). Dans
l'immense "ruche" qu'est la société nippone, il s'avère que les "abeilles"
souffrent psychologiquement d'un vide mêlant solitude, timidité et peur
d'importuner les autres, même quand il s'agit de proches...
Si toute civilisation comporte une part de schizophrénie, on voit
qu'elle est loin d'être négligeable au Japon. La rue exprime une part de ces
contradictions avec la présence de ces jeunes lolitas excentriques qui amusent
les touristes et laissent les Japonais de marbre. Le rapport au corps des
autres est également étrange, empreint d'une certaine forme de contradiction.
On n'embrasse pas ses parents, on se salue mais on ne se serre pas la main, les
amoureux ne se tiennent même pas par la main mais on prend son bain
avec des inconnus dans les onsen... L'urbanisme de la
reconstruction d'après-guerre semble lui aussi empreint d'un farouche
individualisme peu soucieux d'harmonie d'ensemble.
RAFFINEMENT
L'assimilation, l'appropriation des éléments de
culture chinoise a été poussée à l'extrême.
Les Japonais ont le plus
souvent poussé leur art vers le dépouillement et le raffinement. Un exemple est
celui des jardins zen. Le zen est la branche de bouddhisme
mahāyāna qui insiste sur la méditation, arrivée en Chine vers le VIe siècle
puis transmise au Japon au XIIIe siècle que le moine Dōgen).
Ce goût pour le dépouillement se retrouve dans le domaine de
l'expression écrite, bien avant notre tweet minimaliste de 140
caractères, les Japonais ont inventé l'
haïku
. Le mot résulte de la contraction des mots Haikai (qui signifie
"amusement") et de Hokku (qui signifie "court"). Il dérive de la poésie
sous forme tanka, apparue au VIIIe siècle qui comprenait deux strophes,
l'une de 14 more (syllabes ou pieds si l'on transpose la notion dans
notre langue) et l'autre de 17. L'haïku créé par Basho au XVIIe siècle
correspond à cette dernière et se décompose en un tercet de 5, 7 et 5 pieds. Il
doit exprimer l'évanescence des choses et, dans le strict respect de la forme,
il doit donner une notion de saison et comporter une césure.
古池や
| furuike ya (5) | Un vieil étang et
|
蛙飛込む
| kawazu tobikomu (7)
| Une grenouille qui plonge,
| 水の音
| mizu no oto (5)
| Le bruit de l'eau.
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