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Il est
14H30 lorsque nous arrivons à Orchha. Les salons de mariage fleurissent à
l'approche de la ville.
Mahipal nous indique que c'est un évènement ruineux car le nombre minimal
d'invités est d'une centaine mais peut souvent être de quelques milliers et les
frais supportés par la famille de la mariée (outre la dot)....
Orchha ("lieu sacré") n'a rien à voir avec les villes précédentes, ce n'est
qu'un gros village d'environ 8 500 habitants. Ici le temps semble s'être
arrêté et les monuments n'ont pas la magnificence de ceux de Gwalior. C'est une
cité médiévale si d'autant plus belle qu'elle est relativement peu connue et
hors des circuits touristiques classiques.
Les Bundelâ descendent des Rajputs Gaharwar de Bénarès et sont arrivés au
Bundelkhand en 1048 lorsque les armées musulmanes ont expulsé les Rajputs de la
vallée du Gange. La petite ville arrosée par la rivière Betwâ, affluent de la Yamuna
s'est développée à partir de 1501 avec l'arrivée au pouvoir du premier Râja Bundelâ, Rudra Pratap Singh.
Orchha était alors la capitale de l'état princier du même nom jusqu'en 1783
lorsque les Bundelâ la déplacèrent à Tikamgarh, face à l'expansion de l'Empire
Maratha ce qui a abouti à l'intégration de la moitié du territoire dans l'Etat
de Jhansi. L'État princier d'Orchhâ subsista jusqu'en 1950 puis fut intégré dans
les États du Vindhya-Pradesh puis du Madhya-Pradesh.
Nous passons à l'hôtel de charme Bundelkand Riverside ***(*) pour
y déjeuner.
La salle à manger est en tout point conforme au charme désuet de
l'établissement.
Le Bundelkand Riverside était un ancien pavillon de chasse du
maharaja, occupant un terrain pittoresque de 20 hectares sur les rives de la
rivière Betwa au lit jonché de gros rochers et est situé tout à fait à l'écart
de la localité. Superbe hôtel de charme mais les installations électriques et
sanitaires des bungalows installés près du rivage laissent plus qu'à désirer
ayant certainement plus qu'un demi centenaire d'âge. Quant au wifi, n'en parlons
pas... l'histoire s'est arrêtée ici à la fin de l'Empire des Indes britanniques.
Le fort et les palais
Après ce déjeuner bien tardif et un trajet vers le village, il est plus de 15H30
lorsque nous commençons la visite des sites d'Orchha.
On entre dans la ville en franchissant une porte couronnée d’un Ganesh rouge.
Après avoir traversé un pont sur un petit bras de la Betwâ, nous arrivons devant
un escalier monumental (doublé d'une rampe d'accès pour véhicules) conduisant au
fort.
Bâtis sur une éminence, l'ensemble des trois palais qu'il renferme se présente ainsi:
face à nous, au fond le Sheesh Mahal,
l'encadrant sur la gauche le Jahangir Mahal partiellement utilisé comme hôtel de
luxe et à droite le Raj Mahal. Des édifices dont un relevé détaillé a été
effectué en 2006.
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Le Râja Bir Singh Deo devint un homme puissant en 1605, lorsque le prince Salim, dont il était l’allié, devint l’empereur Jahangir. Nous ne visiterons pas le Jahangir Mahal qu'il fit aussitôt construire en l'honneur de l'empereur Jahangir qui vint en visite à Orchhâ en 1606 et ne l'utilisa qu'à cette seule occasion. Il est typique de l'architecture moghole. On ne le visitera pas. Dommage! On pourrait y voir de magnifiques chambres royales, ornées de peintures murales, aux teintes encore fraîches, décrivant des scènes mythologiques. Par l'extérieur, on remarquera les deux lignes de balcons qui courent sur sa façade ainsi que la balustrade ornementale qui relient les dômes couronnant l'édifice.
En revanche nous allons passer un peu plus d'une heure dans les deux autres palais.
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Le Raj Mahal a été construit en 1531 par le troisième rajâ Madhukar Shâh (défait
plus tard par Akbar et exilé). Des escaliers étroits et aux marches hautes et
inégales permettent d'accéder aux étages et coursives d'où l'on a des vues intéressantes
tant sur l'intérieur du fort que sur la bourgade et ses environs.
En direction de l'ouest, vues vers le village dominé par l'imposant temple Chaturbhuj et par le palais-temple Ram Raja aux couleurs claires et aux coupoles
rose et or, sur sa droite, et plus loin (un kilomètre) encore le temple Lakshmi Narayan au plan en croix construit en 1622 sur les ordres de Bir Singh Deo, un
étrange mélange de temple et de fort, peu visité.
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Les bâtiments de la dernière cour, à l'est, sont ornés de scènes de la mythologie hindoue (Ramayana avec le "barattage de la mer de lait") et de représentations de Vishnou, Rama, et de Krishna, des peintures parfois dégradées. La chambre de la rani (l'épouse du Râja) est ornée de délicates scènes profanes, de chasse et du gynécée. La porte sud, encadrée d'éléphants de pierre sombre est impressionnante. Après avoir grimpé jusqu'au dernier étage, la vue porte encore vers l'est par les balcons d'où l'on voit divers ruines: résidences d'officiers et ministres, usine de poudre à canon... tandis que des (quatorze?) cénotaphes ou chhatris de gouverneurs (de maharajas?) parsèment les environs du fort et de la rivière Betwa dans un environnement de jungle (qui évoque un peu le site de Bagan en Birmanie). Au pied du palais, on peut voir une grande meule qui doit parfois encore être utilisée. Bientôt on peut voir un impressionnant vautour venir se poser près de nous, sur un couronnement de coupole en forme de lotus.
Après cela, nous quittons les palais pour, depuis le pied du fort, pouvoir jeter un coup d'oeil sur les côtés ouest et nord de l'ensemble et notamment le Jahangir Mahal, après être passé prés des ruines du siège de l'Etat-Major, Shyam Daua ki Kothi. Près de là on peut voir une statue de pierre objet de dévotion puisque peinte en vermillon et revêtue d'une tunique écarlate. S'agit-il de Lakshmi, la fidèle épouse de Vishnu?
Le village et le temple Chaturbhuj
Nous repassons le pont sur le bras de la rivière Betwâ pour aller visiter le village.
Après avoir franchi une porte moderne de couleur jaune, nous tombons dans une
assez grande animation car les fidèles achètent des offrandes qu'ils vont
faire dans le temple de Rama. Fait unique, c'est un ancien palais reconverti en
temple à la suite d'une prophétie. Tous les soirs, la statue du dieu reçoit
l'hommage des fidèles et visiteurs tandis qu'un militaire demeure au
garde-à-vous devant la statue de Rama pendant tout le temps de la cérémonie.
Pour notre part, nous n'avons pas assez de temps pour nous y rendre.
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En revanche, nous allons visiter le Chaturbhuj, un ancien temple du IXème siècle
construit sur une haute et vaste plate-forme de pierre. Il est dédié au dieu
Vishnu. Sa silhouette massive dominée par une très haute tour conique (shikhara)
ferait davantage penser à un fort qu'à un temple.
L'intérieur vaut le coup d'oeil pour se rendre compte des proportions et du
curieux plan cruciforme de l'édifice. De la plate-forme, nous avons une superbe
vue sur les palais du fort parfaitement éclairés par la lumière de fin de
journée (il est 17H). De là, nous avons également une vue sur des salons
de mariage installés sur une place voisine. Pour avoir un panorama plus
intéressant, si l'heure n'était pas si avancée, il faudrait monter dans le shikhara...
Des vaches se prélassent au soleil couchant non loin du temple.
VACHES SACREES, ZEBUS ET BUFFLES D'EAU
La vache sacrée est un terme d'origine occidentale pour nommer la zoolâtrie à l'égard des bovins, en particulier en Inde. Le terme indien et originel est Gao Mata (en hindi), c'est-à-dire "Mère Vache" ou "Vache Mère". Elle représente la sacralité de toutes les créatures. Le mot vache viendrait du sanskrit vaç désignant une génisse. Les vaches laitières sont également appelées aghnya qui signifie "que l'on ne peut pas tuer". La vache (les zébus femelles, mais aussi les bufflonnes) est donc vénérée dans toute l’Inde.
Les bovins étaient déjà très importants pour le peuple de l'Inde ancienne, et plusieurs textes sacrés de l'Inde antique leur sont consacrés (dont le Rig Véda qui remonte à environ 2500 ans). Depuis le Ve siècle avant J.-C., en Inde, la vache (en fait un zébu) est considérée comme la mère nourricière du peuple Hindou et à ce titre est "sacrée" (les singes et les serpents le sont également).
La vache mène donc une vie paisible, en pleine ville au milieu du trafic automobile ou à la campagne, achevant parfois sa vie dans une "maison de retraite pour déesse" (goshala, des refuges pour les vaches). Autre privilège, lorsque les vaches sacrées meurent, elles sont comme 5 catégories d'êtres humains (femmes enceintes, enfants, malades de la variole ou lépreux, sâdhus, morts de morsure de cobra) directement jetées dans le fleuve.La vache étant sacrée, la tuer ou même l'insulter est un crime. Etre pris à tuer une vache ou à avoir de la viande est passible de 5 ans d'emprisonnement et d''une forte amende (145€). On peut citer une rumeur infondée remontant à 2014 selon laquelle le footballeur Nicolas Anelka aurait été condamné à 40 ans de prion (!) pour avoir consommé de la vache lors d'un barbecue.
Cet animal fournit un aliment de première nécessité, le lait et ses dérivés. Parmi ces derniers, il faut citer particulièrement le ghi (beurre fondu), servant à la fois de produit de luxe que l’on ajoute au riz et comme offrande par excellence à la Divinité. On en oint les statues et emblèmes des Dieux, on en jette dans le feu sacré qui transmet aux Dieux les prières et invocations des hommes. La vache donne la bouse, laquelle, mélangée avec des végétaux et séchée, fournit du combustible. Cette même bouse, combinée à l’eau et répandue sur la terre battue qui constitue le sol de la plupart des habitations, éloigne les insectes, y compris les scorpions. La bouse et l’urine de la vache entrent aussi dans la fabrication de mélanges utilisés dans la médecine populaire. La bouse réduite en cendre sert aux yogis sâdhus qui s'en enduisent le corps.
Dans les hautes castes hindoues, la viande est impure, en revanche les intouchables consomment du porc et même la viande de boeuf. Suivant le principe de la non-violence, les Hindous pratiquants évitent de blesser les animaux, ne mangent pas de bœuf, et la plupart sont végétariens. Pour leur karma, les conducteurs ont tout intérêt à ne pas avoir d'accident avec cet animal, prioritaire entre tous...
Avec le développement économique et l'internationalisation de la culture, dans les classes sociales supérieures, à ne pas confondre forcément avec caste supérieure (!), les traditions se diluent peu à peu, qu'il s'agisse de la pratique religieuse, du mariage ou même plus simplement de la nourriture. Un signe de réussite sociale, c'est aujourd'hui de consommer ostensiblement des mets carnés, y compris du sacro-saint boeuf voire même du porc, aliments qui dans la tradition n'étaient admis que pour les intouchables...
Si la vache donne naissance à un mâle qui deviendra un bœuf, ce dernier n'aura pas le statut privilégié de sa mère car seule la vache, possède l'exclusivité de ce statut sacré. Se nourrir de la vache se trouve donc proscrit pour tous, mais le bœuf est mangé par les basses castes et les intouchables. Cette pratique est répandue dans les Etats du sud comme le Tamil Nadu où les hautes castes sont peu nombreuses. On a pu le constater lors d'un précédent voyage dans le sud, cela se traduit par la vente de bouefs (et non de vaches) du Tamil Nadu pour les abattoirs du Kérala qui compte des mangeurs de viande tels que les musulmans ou les chrétiens. Kérala qui de plus est un Etat communiste et laïc. Cependant les choses changent avec les nationalistes hindous au pouvoir dans certains Etats comme le Maharashtra où depuis l'an dernier la consommation de viande de boeuf est passible de 5 ans d'emprisonnement et d''une forte amende (145€), une tolérance subsiste pour celle de buffles.
En fait, quand on parle de vache en Inde, on confond sous un même vocable plusieurs espèces de bovins. Il s'agit le plus souvent du ZÉBU (Bos indicus), bovin du sud de l'Asie, sauvage à l'origine puis domestiqué. On pense que le zébu descend du banteng, le bœuf sauvage de Java et de Bornéo. Sa caractéristique principale est une grande bosse musculeuse sur le dos, entre les épaules. Les zébus ont des oreilles pendantes et d'énormes fanons (grand pli cutané situé sous la gorge de certains bovidés). Si la plupart des zébus sont réputés avoir de courtes cornes, ce n'est pas vraiment le cas dans le sud de l'Inde où ils sont souvent bien pourvus... Ces animaux sont utilisés en Asie et en Afrique comme bêtes de somme, pour leur lait (et leur viande! éventuellement) du fait qu'ils sont très résistants à la chaleur et aux maladies tropicales.
Autre bovin typique, l'arni ou BUFFLE D'EAU ou buffle indien (Bubalus bubalis). Il a l’aspect lourd (jusqu'à 1200kg) et massif et il possède un corps robuste qui ne présente ni bosse ni fanon. Mâles et femelles portent de puissantes cornes, souvent en forme de croissants. Le buffle d'eau est la seule domestiquée des quatre espèces de buffles existantes. Adapté aux milieux marécageux, c'est donc l'animal de trait idéal dans les rizières.
Mais d'autres espèces bovines plus communes ont été introduites, notamment les races de vaches laitières très productives sélectionnées en Europe ou en Amérique du nord (frisonnes, holsteins). Ces animaux sont-ils bien adaptés au climat et aux ressources du pays? On peut également voir dans la campagne indienne certains produits de leur croisement avec les espèces indigènes.
L'Inde possède plus de bovins que n'importe quel autre pays et ils représentent une richesse appréciable pour l'économie indienne (animaux de trait, production de lait). Leur peau n'est utilisée qu'après leur mort naturelle.
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Pour terminer, petit tour en arpentant la rue principale jusqu'à la porte de la ville, sur la route venant de Gwalior et de Jhansi. Nous voyons la rusticité des transports en commun en remorques agricole (transportant des femmes pour l'essentiel) tandis que nous croisons une procession de femmes se rendant au temple Ram Raja probablement, précédées de deux tambours. Un palefrenier conduit un cheval enrubanné sans doute utilisé pour tracter un carrosse d'apparat pour un mariage. Ici, dans une échoppe un barbier est à l'oeuvre alors que là, sur un trottoir, quatre hommes jouent à un jeu qui ressemble un peu au billard, le carrom, surnommé d'ailleurs "billard indien". Le jeu se joue en équipe de deux, les joueurs d'une même équipe se font face. On joue avec des palets que l'on fait glisser sur un tablier en bois, en simplifiant, on put dire que le but du jeu est de placer tous les pions d'une couleur dans les trous situés aux quatre coins du plateau carré.
Il est un peu plus de 18H lorsque nous revenons à l'hôtel pour constater que le cadenas de l'une de nos valises ne fonctionne plus. Il ne reste plus qu'à demander à un employé de le forcer avec un tournevis... Remis de nos émotions, petit tour sur la terrasse construite au-dessus des bungalows et des bâtiments de réception et de restauration qui encadrent la cour. Joli coup d'oeil sur la rivière au crépuscule.